La première fois qu'on est entré dans le cabinet de notre ex-allergologue, il a feuilleté le dossier qu'on avait bien voulu lui transmettre - il était copain avec les allergos d'avant, ça aide - il m'a regardée tout sourire et m'a dit "ce Malo-là moi Madame, je vais lui faire manger du Nutella et il ira au Mac Do comme les autres enfants !".
Moi dans mon ventre ça résonnait comme un enterrement de hache de guerre, j'avais le coeur au creux du ventre comme une bête à l'affût.
Balayés d'un revers de la main, les tests n'ont pas été refaits, tout allait bien aller, cet eczéma partirait avant 5 ans, Malo allait être un petit garçon comme les autres petits garçons.
Je suis repartie légère et confiante, j'avais un autre regard sur Malo, je l'aspirais littéralement vers la guérison...
Et puis le temps a passé. Entre temps, nous sommes repassés dans son bureau...
J'en suis repartie avec une seringue d'ANAPEN, un regard déconfit dudit allergologue et au creux du ventre un tourbillon vertigineux d'avoir failli le perdre après un simple contact avec une noix de cajou... le coeur au bord des lèvres.
Mon regard sur Malo, autant de lames de fond d'espoir brisées, avec mon amour dessus, impuissant à l'aider, le soulager. Et comme d'autres mamans que j'ai entendues me le raconter, je suppliais n'importe qui ou quoi de me donner sa sale maladie, tout plutôt que le voir endurer et endurer moi-même encore sans pouvoir rien faire, sa souffrance, ses grattages au sang, son visage tuméfié, ses joues brûlantes et ses ongles noirs de sang séché... sa respiration rauque et ses yeux perdus.
Comme d'autres, j'ai replié sur lui, sur moi, mes ailes, même brisés tous les deux et j'ai consolé, cajolé, pansé les plaies, dormi quelques heures, gardé contre moi ce petit animal souffrant qui sentait la chair abîmée, détaché doucement de sa peau à vif les vêtements qui collaient, les draps, les taies, baigné cet enfant qui hurlait avant même d'avoir touché l'eau...
Et j'ai sangloté parfois même dehors en plein hiver, impuissante et douloureuse, pour ne plus entendre sa respiration haletante lorsqu'il arrachait sa peau à force de grattages, les mains collées aux oreilles.
Des jours entiers, une éternité.
A s'en oublier, à se plonger en apnée dans un monde parallèle. Nous avions des yeux hagards, nous étions dévorés par la fatigue lui et moi. Toute la tendresse simple, celle qu'on donne à un enfant "ordinaire" débordait à bouillons. C'est un amour fiévreux cet amour que l'on porte à un enfant malade on dirait, un amour essoufflé toujours sur le qui-vive, un amour intranquille et urgent, constamment sollicité. Un cheval au galop.
Et puis le temps a passé. Mais ce temps-là de la douleur a grignoté comme une bête vorace le temps doux qui se glissait dedans aussi... le temps des câlins, des jeux, du rire, le temps de l'enfance et de l'insouciance, qui a pris des tournures orageuses et menaçantes où l'on parlait de mort aussi.
Le temps a passé et les choses se sont posées. Un peu comme l'océan après la tempête, les vagues ont déposé l'écume de ces heures sans répit sur la plage et le vent souffle dessus.
Je ne connais plus ces heures à tenir les mains, à raconter des histoires pour passer le temps de la peau qui dévore, à jouer pendant la nuit, faire chauffer des tisanes, du lait de riz, préparer toujours de quoi apaiser sa soif de répit, passer à l'eau, badigeonner de pommades, éponger (mon dieu c'est un des premiers mots de Malo "éponge"... pour ses bobos...).
Je m'en souviens très profondément, ce temps là a rejoint ma mémoire reptilienne et surgit au détour d'un accident.
Il m'aura suffit de quelques mots pour projeter mon envie, mon espoir et les prendre en revers quelques jours à peine ensuite : il va guérir. Toute mon énergie était tendue vers ces quelques mots badins.
Aujourd'hui, je ne cherche plus au fond des yeux de Malo sa guérison qui ne vient pas.
J'essaye de prendre les mots des soignants froidement et je fais préciser leur pensée. Je ne veux plus espérer jusqu'à l'épuisement.
Septembre avec son lot de visites comme autant de rituels de rentrée pour les enfants avec PAI. Les tests de Malo se sont avérés plus que positifs. Adieu la réintroduction.
Nous nous éloignons doucement du rivage de la guérison. Ce mot ne résonne plus comme la résolution d'un état ni comme un espoir mais comme le potentiel achèvement de quelque chose, un aboutissement hasardeux sans doute, de la maladie de mon petit garçon.
Aujourd'hui je ne vis plus comme s'il allait guérir, je vis avec lui et nous vivons ensemble ses contraintes comme des habitudes de vie, simplement.
Parfois même je me dis qu'il ne guérira jamais, jamais.
Je n'écris pas pour déprimer ceux qui lisent.
Plusieurs raisons me poussent à écrire ce témoignage très personnel : les allergies, l'eczéma sont une vraie souffrance pour les enfants et leurs parents. Cette "mutilation" bien malgré eux est insupportable pour une mère. Et je ne parle pas de culpabilité ou autre non, je parle de ce qui est de l'ordre du supportable se rapprochant de la définition du mot souffrir.
Les mamans en particulier pensent vivre des heures seules dans ces moments douloureux. Elles ne sont pas seules.
De nombreuses théories sont développées autour de l'eczéma et de l'allergie. Elles ne sont pas absolues. Il faut le savoir et le garder à l'esprit. Il y a un an, Malo devait manger du Nutella sur une tartine et s'empiffrer de Mac Do. Aujourd'hui une miette de pain provoque un oedème et ses IGE se prennent pour des feux d'artifice ou des étoiles filantes.
L'allergie, l'asthme, on peut en guérir, l'eczéma aussi.
Mais on peut aussi et nous prenons tous ce risque bien malgré nous, ne jamais en guérir au sens propre du terme : on peut aussi ne jamais s'en débarrasser.
Les choses s'adoucissent : nous trouvons les "coupables", nous apprenons et nos enfants aussi, à gérer beaucoup mieux cette maladie, le temps fait son travail de deuil aussi.
Une fois les coupables mis à l'index, on va vers le mieux, sachant que de nouveaux allergènes viendront, repartiront probablement sans que nous ne puissions rien maîtriser. Ou alors la maladie prendra d'autres formes : asthme, rhinites, eczéma, problèmes intestinaux...
Je crois qu'à un moment il faut sortir de la torpeur de l'espoir pour pouvoir prendre cette maladie à bras le corps et porter cet enfant le plus qu'on peut hors de cette sphère de souffrance et d'isolement, avec autant d'amour que celui que l'on porte aux enfants qui tartinent leurs big mac avec du nutella.
L'amour des mamans et des papas est partagé universellement par les enfants malades et les enfants ordinaires.
Ce qui fait le caractère extraordinaire de nos enfants malades, c'est leur capacité à transformer et utiliser cet amour sur leur petit chemin bien bien difficile...
samedi 25 septembre 2010
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De toute façon, le Nutella est très dangereux pour la santé car il comporte notamment trop de sucre et d'huile de palme et le Mac Do c'est carrément dégueulasse. Autant continuer à manger bio et sain grâce à eux. Moi aussi je commence à me faire une raison compte-tenu des résultats des tests allergologiques. Ca ne va pas en s'améliorant, bien au contraire. Je ne dis plus « plus tard, tu en mangeras » mais je mets plus l'accent sur le bon goût et la qualité des aliments en disant même «heureusement que tu es allergique car on ne mangerait jamais aussi bon ».
RépondreSupprimerIl faut donc apprendre à vivre « avec » au quotidien en mettant en exergue les + de ces maladies.
Le plus difficile (enfin pour moi) c'est de ne pas flancher à chaque nouvelle alerte et de lacher du lest en n'étant pas en alerte 24H/24. Ca viendra bien un jour, à force d'expérience.
La vie n'est vraiment pas un long fleuve tranquille et c'est sûr que l'on se serait bien passé d'une telle vie.
Alors pourquoi ça tombe sur nous ? Parce qu'on est des super Mamans qui allons faire avancer les choses dans ce domaine car y'a sacrément de quoi faire.
Et comme de toute façon y'aura de plus en plus d'allergiques dans ce monde, on aura une longueur d'avance.
Allez, sur ce, bon courage et bonne nuit à tous les petits hérissons et à tous les allergiques du monde.
Merci Isabelle pour ce témoignage très positif ;)
RépondreSupprimerOui le Nutella c'est dégueu, le Mac Do aussi, mais ça a ce côté ludique, surtout, qui nous manque à nous les familles différentes. Et puis c'est une caricature de l'enfance... mais pourquoi pas ?
Ceci dit il est clair que nous avec nos petits, du coup, de fait, nous mangeons beaucoup plus sainement.
Lorette le dirait aussi je pense...
Mais oui c'est difficile de ne pas flancher quand l'allergo vous annonce un nouvel allergène ou que non, on ne fera aucune réintroduction, trop risqué etc. C'est dur. Ou de ne pas avoir peur au moindre signal (maux de ventre, de tête, grosse fatigue, sifflements et j'en passe).
Il faut apprendre oui, tous ensemble et surtout je crois, passer à autre chose comme tu le dis : il faut prendre les bons côtés de la chose, parce qu'il y en a, et mettre en avant cela.
Ces maladies peuvent faire de nos enfants (et de leurs parents !) de vrais citoyens respectueux de l'environnement et des autres. Et ça c'est fort !
Comme le dit Lorette, on prend de belles leçons...
L'éczéma je l'ai connu comme ça quand elle était bébé... après j'avais réussi à limiter les dégats...
RépondreSupprimerL'éczéma je l'ai connu comme ça quand Chiara était bébé... mais on me disait que ma fille faisait des caprices et que moi j'étais trop émotive voir hystérique. Alors petit à petit j'ai fait taire la petite voix en moi, et j'ai commencé à en avoir marre des caprices de ma fille :(
Cela fait que souvent on a du mal à être à son écoute quand elle va mal... On nous a mis dans la tête que c'était des caprices... Petit à petit au fils des mois et des années on apprend à écouter notre fille et à désaprendre ce qu'on nous a mis dans la tête.
Ton texte je l'ai trouvé très beau Anne. Il m'a mis les larmes aux yeux. Il est tellement vraie... Merci
et dis moi, j'arrive plus à suivre vos articles j'en ai plein à la bourre :) la petit hérisson bleu se dévellope :)
Oui c'est terrible ces certitudes médicales, cette remise en question permanente de ce que l'on dit (pour certains... comme tu dis, une fois que l'on a trouvée LA perle... tout change et même on n'en revient pas).
RépondreSupprimerCombien les jugements à l'emporte pièce ont blessé de parents, de mamans... cela est bien triste.
Tu sais pour Malo, notre première visite chez l'allergo, comme par hasard, Malo allait "bien" (d'ailleurs tu avais fait une remarque très drôle sur FB : souvent lorsque nous emmenons nos enfants chez le médecin, ils vont bien ^^). très peu d'eczéma et une forme olympique.
Je me suis entendu dire la même chose que toi ou à peu près : rentrez chez vous madame, vous en faites trop, vous inventez des pathologies à votre enfant, vous feriez bien de faire attention à vos propres névroses. En clair. La visite qui suivait, c'était les urgences pédiatriques à Nancy, tellement tuméfié au niveau du visage par une monstrueuse réaction, qu'ils ont d'abord cru que je l'avais battu... :'( ...
Ils nous font tellement de mal alors que les choses pourraient être plus douce.
Une leçon que nous tirons mais parfois à grand peine, en particulier lorsqu'on est jeune et que l'on nous fait bien comprendre qu'on ne sait pas tout de la vie alors pouêt pouêt : personne mieux que nous ne sait ce qui est bon pour notre enfant ou comment il va.
Quoi qu'il en soit tu sais, tu as une belle relation avec ta petite fille ;)
Merci à toi mon ptit coach ;)
A quand un ptit article de Julie ? ^^
En te lisant, je revis ce qu'a enduré ma mère en me voyant également me gratter au sang, les compresses de gaz à appliquer sur mes plaies tous les jours, le premier oedème de Quincke qui m'avait défigurée (temporairement bien sûr)... j'imagine tout ce par quoi elle est passée. Je comprends enfin, je ressens, maintenant que je suis mère à mon tour, la force de ses mots tant répétés "si j'avais pu le prendre ton eczéma, ta douleur...".
RépondreSupprimerEt j'espère que mon fils ne vivra pas ça.
En tous cas, c'est terrible ce que tu as vécu avec ton fils. J'imagine bien l'espoir, mes parents ont vécu avec me concernant, un espoir sans cesse déçu, des promesses de guérison sans cesse repoussées...
Pour ma part (mais je n'ai plus 10 ans!), je ne me fais aucune illusion : je sais que je ne guérirai pas de mes allergies alimentaires (les + pesantes parmi toutes mes allergies) et j'ai appris à vivre avec. Je me sens donc prête à accepter celles, éventuelles, de mes enfants, sans chercher à espérer un "mieux". Mais je ne dis pas que ça sera facile pour autant, parce que ça doit être dur de devoir refuser plein de bonnes choses à son enfant, pendant que son petit copain se gave de pain et de Nutella, qui ne comprend pas encore vraiment pourquoi.
La vie, c'est vraiment un combat...
Oui c'est horrible pour une mère de voir son enfant déchiqueter sa peau ainsi, se mutiler même si ça n'est pas volontaire bien au contraire...
RépondreSupprimerC'est horrible de ne rien pouvoir faire contre cette souffrance atroce et l'impuissance face à la souffrance... c'est vraiment inhumain.
J'imagine maman sioux oui, que ta maman a dû énormément souffrir aussi. On n'en parle très peu de cela, de la souffrance des parents. Dur d'accompagner un enfant dans ce contexte...
J'espère que ton petit garçon et les enfants qui viendront rejoindre votre petite famille seront épargnés, oui. Il y a des tas d'explications à l'eczéma persistant de Malo, tout d'abord, une très mauvaise prise en charge de notre famille par les médecins.
Malo ne guérira sans doute pas de ces allergies tu sais. La prise de sang faite il y a 15 jours est à nouveau une catastrophe. Il semblerait même qu'il soit de plus en plus allergique.
Alors le mieux est de vivre avec tout cela. De se dire qu'il ne sert à rien de s'épuiser dans des luttes stériles, mais de prendre les choses telles qu'elles sont et nourrir cet enfant, lui apprendre à se nourrir, autrement.
Ce qui me fait espérer, c'est nul hein, mais c'est la recrudescence des allergies : je me dis que socialement pour lui, ce sera de moins en moins difficile parce que les allergies, on va en parler de plus en plus. Ils seront moins exclus.
Et au fond tu as raison, ce sont les frustrations qui sont difficiles à gérer. Chez nous, curieusement plus pour moi que pour lui. Et Isabelle a raison aussi, marrons-nous : le Nutella c'est rien que des cochonneries ;)) ...
Mais oui, la vie c'est un sacré combat...
Merci aussi pour ton témoignage maman sioux ;)