mercredi 17 novembre 2010

Je suis ordinaire, m'aimeras-tu quand même...

Je suis un petit garçon né un jour de froid, peut-être en plein été d'ailleurs, un petit garçon ni plus ni moins que tous les autres, dans les courbes de poids traditionnelles, avec des mèches blondes, ou peut-être quelques cheveux roux ou bruns ?
Je grandis je saute dans les escaliers, je trébuche dans les mottes de terre dehors, je crie, je ris, j'ai deux ans et quand je monte les bras très haut on dirait un oiseau, je suis libre comme l'air, j'ai tout à vivre.
Je pourrais aussi bien avoir 5 ans ou même 8, peut-être 15 et ce jour-là arrivera sans que je saisisse dans mon corps l'incroyable ascension gravée là sur le seuil de la porte... d'ailleurs je peux mettre mes doigts dans la marque, 1m20, peut-être 70.
Je suis une grande fille, tous les prénoms me vont, j'ai encore au creux des lèvres l'odeur du sein de ma mère, j'ai les yeux de mon père et je partage avec mon frère ces deux doigts palmés à la main droite, je suis petite et mes bottes bleues font des ronds dans les flaques d'eau, quand je tends mes bras au ciel je pourrais toucher le soleil, je suis unique, sans entraves et je respire.
Aucun signe particulier, ma vie à tes côtés maman, c'est comme une ligne droite sur un sentier de sous-bois. Ca sent l'humus, le coeur de la forêt bat en silence, on marche tranquillement et je regarde par-dessous toi, ton visage jamais toujours vraiment là depuis.
On pourra toujours se donner la main, parcourir la terre ensemble une fois et même dix, on pourra toujours fabriquer des nuages avec nos respirations haletantes dans l'air de novembre tout ça je sais, je le sais bien.
Tu es ma mère et je t'aime ainsi, tu es mon père et tu es toutes les sagesses et les réponses que j'attends, la fraîcheur hospitalière sous le brûlant du soleil.

Regardez je marche droit, je ne suis pas essoufflé quand je cours, je suis capable de mille choses sans jamais en souffrir.
Nous sommes en pleine lumière, nous avons tout à vivre.
Regardez-moi, je ne suis pas pareil, je suis différent, je suis si ordinaire.
Je ne suis pas malade. Et si ma vie est en danger à chaque seconde, personne ne le sait parce que ça n'est pas marqué ni sur ma peau ni nulle part ailleurs.
Je ne suis pas malade. Je suis votre petit garçon sain qui glisse dans la neige, je suis votre grande fille brune qui se maquille devant la glace, je suis votre enfant "normal", je suis juste sans souffrance ou bien totalement celle que l'on porte tous ici.
Je suis celui qui ne prend pas de temps, ou si peu, celui qui se fait petit quand la souffrance devient métallique autour de moi, je suis celui qui sait marcher sur la pointe des pieds, celui qui sait faire semblant de dormir la nuit.
Je suis celui qui est de toutes les émotions, celui qui sait mais ne dit rien, celui qui attend son tour, celui qui ne dépasse pas la ligne blanche.
Je suis celui qui sait mimer le mieux les pansements derrière les genoux, bobo est mon premier mot, je connais tous les noms de médicaments, je sais l'odeur des salles d'attentes, je sais l'odeur de l'attente.
Je suis celui qui prend sur lui, qui prend dans lui, celui qui s'endort très vite, celui qui veille au contraire pour exister, celui qui tente désespérément d'accrocher un regard en pleine tempête.
Je suis celui qui repose, celui qui ne demande rien, celui qui n'est pas insignifiant mais qui se garde bien d'être tout en relief.
Je suis celui qui porte l'inquiétude, celui qui s'assied par terre sur le pas de la porte, celui qui est docile, celui qu'on ne plaint pas, celui qu'on cajole furtivement, celui qui se prend en charge très vite, celui qui se charge tout autant, celui qui assiste impuissant, quotidiennement ou presque.
Je ne suis pas malade.Je suis ordinaire, je suis ton autre enfant, un enfant sain.
M'aimeras-tu malgré tout ?

4 commentaires:

  1. oui c'est difficile d'être la soeur ou le frère de...surtout quand celle ci ou celui ci est malade. On se fait tout petit derrière...et on ose à peine exister. On est là mais on ne veut pas prendre trop de place...elisa

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  2. Oh oui...combien il me semble important de ne pas oublier celui qui "se débrouille super bien tout seul", ou celui qui "est super mur pour son âge"...Combien il doit être difficile de se "partager pour des parents", et combien on peut avoir l'impression d'être un poids, alors que c'est le frère ou la soeur qui est malade...

    Thème tellement intéressant, et trop rarement abordé. Bravo !

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  3. C'est difficile pour vous, nos enfants "sains", difficile de vous dire que le temps que l'on passe à panser, soigner, apaiser, ça n'est pas du temps d'amour en plus pour eux ou en moins pour vous, juste du temps de soin.
    Et que l'amour ne se mesure pas. Ni encore moins en temps.
    Et quoi que vous ayez envie de prendre comme place, quoi que vous estimiez à ce sujet, elle est bel et bien là, en tant que notre enfant et avec l'amour que vous méritez. Et que l'on mesure à la hauteur de vos silences... aussi.
    C'est délicat tout ça, si fragile.
    C'est dur pour nous les parents, toutes ces privations que vous subissez, aussi. Et si ces maladies dévorent l'enfance de vos frères ou soeurs, elles engloutissent les vôtres tout autant, nous le savons en secret. En théorie il existe des solutions, en théorie seulement.
    Quand je regarde Malo dormir, je me demande douloureusement quel cadeau empoisonné j'ai mis dans ses veines. Et quand je regarde sa grande soeur brûlante de fièvre alors qu'il est hospitalisé, je me demande quel héritage avec ce petit frère fragile... quand je pose les yeux enfin sur le plus petit en sanglots parce que son frère pleure de douleur, je me demande ce que seront ses lendemains, lui qui n'a connu que ça.
    Une chose est certaine, quand je les regarde tous les trois, j'ai un pincement au coeur qui est le même, qui a la même intensité.
    Voilà, Elisa, Elise. Et nous n'épuisons pas le sujet. J'aimerais tant avoir LA solution...

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Vos ptites causeries c'est par là...

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