jeudi 11 février 2010

Et les frères et soeurs, dans tout ça?


Entretien avec Jacinthe...

Le petit hérisson bleu a envoyé ses reporters interviewer Jacinthe, psychologue et membre d'honneur, sur la question des frères et des soeurs des petits malades; ce que dit Jacinthe est bien sûr applicable aux fratries d'enfants allergiques ou asthmatiques, mais aussi de tout type de maladie handicapante.



"Pourquoi parler de la fratrie de l’enfant malade ?"

"Dans les situations de maladie ou de handicap, pourquoi aborder le sujet des frères et sœurs ?
On peut en effet se dire d’emblée que la fratrie n’est pas la première concernée, on peut aussi entendre « ceux-là vont bien, ils ne sont pas malades. »
On s’est jusqu’à aujourd’hui principalement consacré à l’impact de la maladie sur l’enfant atteint et sur ses parents, en ignorant largement le vécu de la fratrie.

Les liens fraternels marquent la structuration identitaire de l’enfant : c’est grâce aux autres, aux relations avec autrui qu’il pourra se construire. Un enfant ne peut pas ne pas être affecté par la présence d’un enfant malade au sein de la fratrie : la maladie bouleverse la dynamique familiale et fraternelle. Ainsi, les frères et sœurs peuvent être tenus à l’écart, soit parce qu’on les oublie, soit parce qu’ils se font oublier.
Il est important de comprendre ce que vivent et ressentent les frères et sœurs d’enfants malades, car il est important pour eux qu’ils perçoivent de l’attention, et que leurs souffrances sont prises en compte."





"Doit-on annoncer la maladie aux frères et sœurs quelque soit l’âge? Jusqu’à quel point faut-il aller dans le détail ? Lorsque la vie d’un enfant peut être en jeu faut-il dire tout à ses frères et sœurs ?"



"Les frères et sœurs doivent bien sûr être informés de la maladie de leur frère ou sœur. Le sujet ne doit pas être évoqué à demi-mot.
En effet ils doivent bien comprendre la situation, pour être écoutés dans leurs émotions et leurs réactions et recevoir des réponses à toutes leurs questions. Chacun doit pouvoir se confier, exprimer ses sentiments et ses questions. Pour cela, il a besoin d’informations claires et précises à propos de la maladie, bien sûr ajustées au niveau de compréhension de l’enfant : il faut utiliser des mots adaptés à son âge et à son niveau de développement, adapter la forme et le contenu des informations pour qu’il n’y ait pas de confusion et vérifier si l’enfant a bien compris."


"Pourquoi?"

"La fratrie se retrouve dans un questionnement et des angoisses face à la maladie.
D’abord des angoisses par rapport à elle-même, plusieurs questions la traversent en ce qui concerne la maladie : Vais-je moi aussi être malade ? Pourquoi il est malade et pas moi ?...
Mais également des angoisses par rapport à l’enfant malade : Va-t-il mourir ? De l’angoisse concernant les parents, parents qu’elle voit inquiets, angoissés ou désemparés…
Il est important que l’enfant sache que la maladie de son frère ou de sa sœur n’est pas de sa faute, qu’il n’est pas responsable de la maladie (dans la dynamique fraternelle l’enfant a pu souhaiter un jour que son frère ou sa sœur disparaisse et peut ainsi être convaincu que c’est de sa faute…), et que ça ne va pas lui arriver à lui aussi.

De plus, parler de la maladie en famille, permet d’une part de savoir ce que les frères et sœurs perçoivent de la maladie (chacun développe ses théories personnelles), et aussi de séparer ce qui est du registre de la maladie et ce qui ne l’est pas (pour favoriser le lien fraternel), de donner à la fratrie les moyens d’expliquer aux copains la maladie de son frère ou de sa sœur."




" Lorsqu’il est hospitalisé
peut-on emmener les frères et sœurs ?"

"Il faut proposer aux frères et sœurs d’aller lui rendre visite à l’hôpital s’ils le veulent. Il faut aussi expliquer à la fratrie ce qui se passe, les raisons de l’hospitalisation, la rassurer… Sinon l’enfant reste confronté à son propre imaginaire, il peut minimiser ou exagérer la gravité de la situation par exemple. Il ne faut pas faire de la maladie un secret, un tabou."






" Quelles peuvent être les conséquences d’une telle annonce ? Vaut-il mieux se taire ? Pourquoi ?"


"La maladie vient bouleverser la dynamique familiale et fraternelle (Cf. ci-dessous les conséquences de la maladie sur la fratrie). Comme je l’ai expliqué plus tôt, il est important d’annoncer la maladie aux frères et sœurs. Les enfants perçoivent les inquiétudes et les angoisses des parents, ne pas en parler en ferait un tabou.
Au contraire, il faut favoriser le partage des émotions."





" Est-ce que cela change les relations dans les fratries ?

Quelles sont les conséquences (quelles sont leurs places entre eux aux yeux des parents ?).
Comment éviter les différences et d’ailleurs, les égards particuliers dus à la maladie peuvent-ils être vécus comme des traitements préférentiels ?"

"-Pour l’enfant malade :
L’enfant malade doit rester à sa place d’enfant, sans être l’objet d’un sentiment de pitié. Il doit pouvoir se sentir intégré au sein de sa famille, ce qui lui permettra de se sentir comme tout le monde au sein de cette société.
Son entourage et ses frères et sœurs doivent lui permettre d’occuper une place comparable à celle qu’ils occupent eux-mêmes.
La fratrie se sent parfois jalouse de toute l’attention et de l’affection privilégiée que l’enfant malade a l’air de recevoir.
Les parents doivent ainsi favoriser les relations d’égalité en ne surprotégeant pas l’enfant malade et en laissant la rivalité fraternelle se jouer.
L’enfant malade ne doit pas être réduit à sa maladie.

-Pour la fratrie :
La place de l’enfant malade dans la fratrie a toute son importance dans les interactions fraternelles. (1)


-Pour un aîné malade :
La situation pour ses frères et soeurs plus jeunes est souvent plus facile à accepter dans la mesure où ils n’auront jamais connu rien d’autre et où ils auront à s’adapter d’emblée à leur aîné malade. Ce dernier doit par ailleurs accepter la présence d’un plus jeune qui n’est pas confronté au même type de souffrance et de traitement.

Le cadet peut prendre conscience lors des premières socialisations que tous les aînés ne sont pas malades. Il peut cependant faire un lien entre grandir et devenir malade et craindre pour sa santé.

- Pour un aîné sain :
Il peut être difficile d’accepter à la fois une nouvelle naissance qui vient modifier la dynamique familiale, et la maladie avec toutes les préoccupations parentales qu’elle entraîne. L’aîné peut se sentir envahi par la présence du plus jeune qui occupe d’emblée tant de place, et avoir du mal à exprimer son agressivité et sa rivalité face à lui et à ses parents désemparés face à la maladie.

Les frères et sœurs devraient garder leur place d’enfant. Mais on peut retrouver dans certaines familles le phénomène de « parentification », dans lequel « l’enfant peut vouloir se conduire comme un parent hyper-responsable, préoccupé par tout ce qui ne va pas, cherchant à combler toutes les insatisfactions, à consoler, à résoudre tous les problèmes. » (1). Cette parentification peut-être stimulée activement par les parents ou provoquée involontairement par des moments de dépression et d’impuissance qu’ils traversent. L’enfant trouve dès lors une satisfaction dans ce rôle, qui fait rupture avec son enfance et le projette dans un monde de devoir et de dévouement perpétuels."



"A quelles difficultés doit faire face la famille?"

"Il est difficile de traiter cette question de manière générale, les situations sont si particulières (nature de la maladie, nombre d’enfants dans la fratrie, rang dans la fratrie…). Mais les fratries traversent au cours de leur vie des difficultés communes mais qui ne sont pas systématiques.


- La culpabilité et l’agressivité.


Plusieurs raisons vont faire que l’enfant va ressentir des sentiments de culpabilité :
La maladie de l’enfant peut paraître pour les frères et sœurs comme une énigme (cela dépend aussi de l’âge) or si les parents ne sont disponibles pour répondre à leurs questions (est-ce que moi aussi je vais être malade, est-ce de ma faute si mon frère et ma sœur est malade) ils peuvent avoir le sentiment d’être pour quelque chose dans les difficultés qu’éprouvent leur frère ou leur sœur.
Les frères et sœurs peuvent aussi ressentir de la culpabilité du fait qu’ils ne sont pas malades (pourquoi lui et pas moi ?)

La relation fraternelle se caractérise en partie par un sentiment de jalousie, et de l’agressivité. Quand un frère ou une sœur est malade cette agressivité peut-être exacerbée, du fait que l’attention parentale est captée par l’enfant malade. Cette agressivité peut aussi être complètement inhibée, et entraîner un sentiment de culpabilité : l’enfant ne se sent pas le droit d’exprimer ses griefs envers l’enfant malade.
Il arrive en effet souvent que les parents en demandent plus aux frères et sœurs, de protéger l’enfant malade, de ne pas être agressif avec lui, voire d’éliminer toute rivalité fraternelle alors que celle-ci est exacerbée par le fait que les parents sont captés par l’enfant malade, physiquement et psychiquement.
Selon Scelles (2), cette agressivité peut-être déplacée sur une autre personne ou se manifester hors de la sphère familiale, à l’école par exemple.
Elle peut être aussi retournée contre lui-même, et qu’il soit par exemple victime d’accidents à répétition. Le mal qu’il se fait peut signifier qu’il cherche à se punir d’avoir eu des mauvaises pensées ou de ne pas être un « bon fils » ou un « bon frère ».
Enfin l’enfant peut transformer son agressivité en son contraire : l’amour ou la sollicitude.



Le besoin d’investissement parental



La maladie accapare les parents tant au niveau physique que psychique. La fratrie peut à ce moment là se sentir abandonnée, penser qu’elle n’a plus de place dans la tête des parents et voudrait bien que les parents s’occupent d’elle, avoir des moments seule avec eux.

Les parents, en effet, sont absorbés par le quotidien, par leur souffrance et leurs inquiétudes.
Ils peuvent aussi développer des attitudes de surprotection envers l’enfant malade, qui requiert plus de soin, de disponibilité, de temps et d’énergie, ce qui rend la vie quotidienne bien plus compliquée.
Dans ces cas est très difficile pour les autres enfants de la fratrie de trouver une place, et de ne pas se sentir délaissés par leurs parents.
L’enfant malade demande donc à la famille des facultés d’adaptation."


"Faut-il consulter systématiquement un spécialiste ?
A quel moment ?"

"Des symptômes peuvent apparaître…

La fratrie peut développer différents types de symptômes : désintérêt pour les amis, les activités, repli sur soi, angoisses comme la peur de la mort de l’enfant, des parents, troubles du comportement plus ou moins bruyants (agitation, fugues…), échec scolaire. Ce qui en même temps rappelle aux parents qu’ils ont d’autres enfants.
Quelque fois aussi la fratrie développe une sorte d’adaptation plus que parfaite, niant toute rivalité fraternelle.
Dans ces cas les soutiens proposés à la fratrie sont actuellement très diversifiés.

Il est important que les parents puissent reconnaître les difficultés des enfants et qu’ils puissent les aider à verbaliser et échanger avec eux. La fratrie doit pouvoir parler en toute liberté sans craindre de faire mal aux autres."


" Une famille avec un enfant malade peut-elle vivre normalement comme les autres familles dans lesquelles les enfants sont tous sains ?"

"La vie ne s’arrête pas à la maladie, même si elle demande une adaptation constante, il y a des moments de détente, d’activités agréables à partager qui sont cruciaux pour toute la famille, ce sont des moments de ressource à côté de moment plus difficiles.
Malgré les contraintes des traitements l’enfant malade et sa famille peuvent vivre une vie relativement normale.

Ainsi ce qu’il est important de privilégier et sont des ressources pour la famille :
- les relais familiaux (grand parents, oncles et tantes…) ou amicaux sont là à la fois pour la fratrie et pour l’enfant malade, permettant ainsi aux parents de partager des moments différenciés avec chacun des enfants.
- du temps, à consacrer aux autres enfants.
- des moments d’expression, pour parler de la maladie en famille et permettre aux frères et sœurs d’exprimer leurs ressentis.
- les associations, qui sont des lieux de ressources et de soutien pour la famille. C’est aussi une occasion pour la fratrie de découvrir qu’elle n’est pas la seule, de rencontrer aussi d’autres enfants qui vivent des expériences identiques ou approchantes."



"Tu nous a parlé des difficultés, mais l'épreuve de la maladie a-t-elle aussi des conséquences plus "heureuses"?"

"On peut constater chez les frères et sœurs d’enfant malade qu’ils font preuve de plus de débrouillardise, qu’ils sont en général plus autonomes et savent se prendre en main tout seuls. Souvent ces enfants créent des liens très forts avec la famille élargie ou d’autres adultes de l’entourage, pour compenser le manque de disponibilité des parents accaparés psychiquement et physiquement par la maladie.
Certains enfants développeront aussi une gentillesse et une compréhension mutuelle en miroir avec le don de soi qu’ils ressentent exister chez leurs parents. Ils se montreront ainsi très sociables.



Selon les auteurs, la plupart des frères et sœurs accompagnés par l’écoute et l’empathie de leurs parents ou d’une personne proche développera des capacités d’adaptation à cette situation familiale particulière, une large autonomie, une maturité émotionnelle, ainsi qu’un épanouissement serein au sein de leur famille."








" En quoi les fratries sont-elles des facteurs de guérison ou de mieux vivre pour l’enfant malade ?"


"La fratrie peut être là pour l’enfant malade, pour l’aider et le soutenir dans ses difficultés. Ainsi il peut naître une véritable solidarité fraternelle et familiale.
Comme l’écrivent Witgens et Hayez (1) : « La fratrie peut constituer alors, non seulement une présence amicale, un soutien et une aide pour l’enfant malade mais aussi, comme un catalyseur, un influx de force, un élan vers la vie, une réserve de plaisirs petits et grands et de jeux. »."




"Merci Jacinthe pour toutes ces précisions qui aideront, nous l'espérons, les familles et les fratries de nos petits malades !"


SOURCES :
(1) Witgens A., Hayez J.Y. (2004). La maladie et son impact sur la fratrie. In Lebecque P., Baran D., Mucoviscidose : la maladie, le traitement, les perspectives. Louvain-La neuve, Acadamia Bruylant.
(2) Scelles R. (2003). Formaliser le savoir sur le handicap et parler de leurs émotions: une question cruciales pour les frères et soeurs.Neuropsychiatrie de l'enfant et de l'adolescent, 51, 7, 389-396.

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