jeudi 2 décembre 2010

Love is the answer et autres solutions contre la séparation


C'est quoi travailler ET avoir un enfant malade ?
C'est peut-être être comme un coquillage ouvert évidé et ballotté,
C'est peut-être travailler dans un élan d'énergie formidable, avec le ventre comme le ventre d'un djembe. Aussi creux et puissant, profond avec une résonance intense.
C'est peut-être aussi faire semblant.
Je fais semblant de prendre ma voiture, je fais semblant de rouler au milieu des gens endormis, je fais semblant de les doubler, semblant d'entendre la musique à la radio, une paire d'abrutis rire connement de la désopilante et navrante connerie humaine.
Je fais semblant d'arriver, semblant de descendre de ma voiture, semblant de ne pas faire semblant que je n'ai plus 20 ans, que je n'ai plus ni l'énergie ni l'étincelle, je fais semblant d'arriver à l'heure, semblant d'être vraiment là, semblant de déballer mes affaires au bureau à l'office peu importe.
Je suis vraiment moi avec les personnes qui m'entourent, je ris vraiment avec elles, je suis là mais c'est parfois cet instant où je ressens presque physiquement la coupure, c'est cet instant là qui est comme un couperet bruyant.
Je suis une usurpatrice, je prends ma propre identité pour me la masquer avec une autre, j'enfile un vêtement comme un homme grenouille, je prends une bouffée avant de partir, pour rentrer, en rentrant je ne sais pas. Ou bien je ne respire plus.
Je pars alors que le soleil dort encore, que les animaux nocturnes songent à rentrer au chaud, qu'on annonce sur la France un déluge de neige.
Je pars engourdie, je n'ai jamais été aussi efficace que vide.
Je rentre alors que ces mêmes animaux s'étirent et songent à se mettre en chasse pour trouver de quoi nourrir les petits qu'il leur reste peut-être encore je l'ignore.
A côté de cela je rentre hagarde, recevoir de plein fouet ou pas les petits dans les jambes.
Je laisse mon foyer, la chaleur et l'insouciance, je pars avec l'espoir de ne jamais avoir à plus de 100 km de là, le coup de fil de l'école, de l'hôpital, du médecin, de Hugues, au sujet de Malo.
Je ne savais pas ce que c'est que travailler avec un enfant malade.
A l'époque où je travaillais, Malo était un enfant un peu allergique, qui faisait de l'eczéma, ne risquait absolument rien qui soit grave.
Aujourd'hui Malo est poly allergique, asthmatique et eczémateux. Un petit garçon anxieux, avec une santé fragile que j'ai souvent porté à l'hôpital, ça ne veut peut-être rien dire pour certains mais dans ces syllabes détachées il y a de plus, pour moi, des relents de mort.
C'est étrange de travailler sans réelle tranquillité, sans un souffle normal, sans quiétude. Je suis efficace au travail non que je travaille mieux que quiconque, je ferme les écoutilles, je ne suis plus moi, je suis moi qui travaille, je ne ressens rien, je suis vide, mes émotions sont rangées je ne sais même pas où. J'ai un sentiment de solitude intense par instants, je ne sais plus qui a besoin de qui, qui doit rassurer qui. Qui sont ces mères qui travaillent et laissent derrière elles leurs enfants malades, comment faire pour être sereine, comment faire pour ne pas être en apnée permanente...
Je suis loin, la route est un enfer, un enfer.
J'ai le sentiment ambivalent d'une réalisation professionnelle (et encore...) et celui de l'abandon au sens vital, peut-être que je suis comme une chatte qui chasse pour ses petits avec l'angoisse tenace au ras de la peau du retour haletant à la maison.
Et pourtant.
Pourtant Malo n'est toujours pas à l'école, Malo se remet de sa saleté de gastro de trois semaines auprès de son papa.
Je ne sais pas ce que seront les jours sans moi à proximité.
100 km c'est le temps d'un accident sans moi, le temps d'une anicroche mal gérée qui tourne mal, le temps des sangs rongés, je serais bien incapable de prendre la voiture en cas de problème.
Si seulement je nous rendais notre liberté au moins, si seulement en déjouant l'angoisse et la séparation je nous permettais enfin de vivre, lui, moi, jamais vraiment séparés, jamais vraiment ensemble. Si seulement la clé était là, le départ pour l'autonomie. Si seulement j'étais trop, si au moins je n'étais pas assez... Si seulement c'était la réponse, la seule réponse et l'amour dessus (comme une bête nue).
Voilà Malo l'étrange cadeau que je te fais en cette fin d'année,
Va, vis et... deviens.
Il serait facile et au fond drôlement soulageant de dire que c'est un formidable lâcher prise...
Si j'avais encore l'énergie à cette heure, j'aurais presque envie d'en rire. Je ne lâche pas prise parce que la maladie est une patelle.
Tout cela est très confus, mais la situation l'est tout autant, même pas une autre naissance, même pas une autre vie, juste une vie entre parenthèses avec l'échine tendue, 12 heures par jour quasi.

9 commentaires:

  1. Pfiou... :(
    Courage, Anne...

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  2. Je vais bien, je me pose juste la question : comment font ces mères d'enfants malades pour travailler SEREINEMENT... C'est quoi ce lien gluant entre les être que nous sommes lorsque la situation est telle que je la vis ?
    Ou bien c'est moi ?
    Ou bien c'est normal ?
    Je crois que c'est normal.
    je crois qu'on a nos enfants dans la peau avant que de les avoir dans les bras, dans les jambes.
    Et puis c'est sans doute cela l'amour aussi, le fil ténu et fort, même loin.

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  3. On fait avec, on a pas le choix, on fait confiance a nos enfants qui savent mieux gérer qu'on le crois et on se met la tete dans le boulot, mais en vieille, pas éteinte, on y pense, pourvu que ça se passe bien.. dès que le
    le portable sonne on est a l'affut..
    mais tout va bien, on apprend a lacher du leste, a ne pas s'inquieter tout le temps, on se rassure, on s'habitue....
    Mais oui au début, surtout lorsqu'ils sont tout petit ou dans les moments ou ça va mal pour nos enfants, c'est dificile, on est comme des zombi, on bosse, on le fait bien, mais on est la sans l'etre, notre tete est ailleurs et on a qu'une hate les serrer dans nos bras très vite et les embrasser... parfois on ressent un peu de culpabilité, mais si on est là c'est pour eux aussi, leur donner un toit, à manger, les habiller etc... donc on oubli..
    C'est une autre façon de vivre, c'est la vie, un jour nos enfants travailleront aussi, ils auront des enfants a leur tour, j'espère pas malade mais on ne sais pas. En allant travailler on leur apprend la vie aussi..

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  4. on leur laisse leur petite vie à l'ecole et on prends la notre.. sans oublier celle que l'on a en commun.
    Ce n'est vraiment pas simple au début..
    Courage Anne

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  5. Contente de te lire Lorette...
    OUi je suppose que c'est difficile.
    Je me demande combien de mamans vivent cela ?
    Et c'est vrai que c'est difficile d'être "vraiment" là...
    Bisous ;-)

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  6. C'est incroyable comme tes mots me touchent... comme ils font vibrer chaque partie de moi.
    Je laisse mon petit à l'école, je le laisse avec des inconnus qui ne seront jamais aussi consciencieux que moi, à qui je dois faire confiance malgré tout... Il faut lâcher prise...
    C'est dur, je n'y arrive pas, je le fais, mais je n'y arrive vraiment pas... Comme toi, je mets ma tenue de "maîtresse" le matin (ben oui je m'occupe de plein de petits bouts que les papas-mamans me confient à moi aussi, qui suis une inconnue pour eux, et à qui ils doivent faire confiance) alors je me concentre, sur ces petits bouts et je m'en occupe aussi bien que si c'était les miens, en souhaitant que la maîtresse de mon fils fasse de même...
    Il y a de la neige ces jours-ci, tellement de neige que le temps qui sépare nos deux écoles s'est terriblement allongé, je ne serais pas là "à temps" si jamais... (d'ailleurs même sans neige, je ne suis pas wonderwoman, je crois que je ne pourrais jamais être là "à temps" ;) ) ou alors une ptite réaction, juste les lèvres qui gonflent un peu et les yeux qui grattent fort, juste le coup du "antihistaminique-corticoïdes" qui nous empêche de dormir mais qui ne laisse des traces que sur la feuille "accidents allergiques entre deux visites chez le spécialiste".
    Non ce n'est pas "toi", ou alors c'est "nous"... Il y a des parents comme ça, il y a des parents "loups", "chats", "poules", qui couvent et ne sont apaisés que lorsque leurs portées se lovent contre leurs coeurs, que lorsque leurs petits "jamais ne s'éloignent, plus loin qu'un jet de sarbacane..." (anapen à proximité en plus).
    Bon j'arrête là, je pourrais en faire des tonnes...
    Merci pour ces quelques lignes...
    Et courage !

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  7. Tu es pleine de courage ;-)
    moi aussi je me reconnais dans ce que tu dis. J'ai écrit cela sans réelle tristesse, juste une drôle de lucidité, que tu as également...
    Comment transformer des personnes qui aiment travailler,qui aiment leurs métiers, en individus tellement en décallage... ces allergies sont dans notre quotidien, en permanence. On ne s'habitue pas, on fait avec et comme si en même temps.
    Merci à toi Céline et bon courage avec ton petit loup aussi !

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  8. non on ne s'habitue jamais vraiment, on vit avec c'est tout...

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Vos ptites causeries c'est par là...

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